De la nécessaire méthode dans la prière
 
L'homme, par ses propres moyens, ne peut acquérir la grâce à cause de la nature indéterminée de l'Esprit.
La gratuité caractérise l'effusion de l'esprit, comme l'ont répété maints pères, et s'appliquer une méthode en prière semble absurde au regard de cette gratuité.
 
C'est que si la terre de votre personne est préparée, le travail gratuit des éléments agira ensuite au mieux sur la pousse.
Imaginons le jardinier qui travaille sans méthode : il ne retourne pas la terre, lance ses graines n'importe où, ne désherbe pas.
Malgré le désordre de son travail, il verra effectivement certains résultats et certaines graines germeront.
Mais combien meilleur aurait été le résultat s'il avait travaillé avec méthode !
Pourtant, même s'il entreprend de travailler avec méthode et soin, le jardinier restera humble, car il sait que le vrai travail est celui conjugué de la terre, de la graine, de la pluie et du soleil.
Lui, s'est contenté de préparer la terre.
 
Agir sans méthode est absurde.
D'ailleurs, toutes les tâches que nous accomplissons correctement dans le cours de notre vie quotidienne sont menées avec un minimum de méthode.
Si nous faisons la vaisselle, le ménage, si nous bricolons, réparons notre voiture, nous le faisons avec méthode et application sans quoi le travail serait mal fait.
 
Les chrétiens réticents à toute idée de technique dans la prière pourraient aller jusqu'au bout de leur logique et abandonner, puisque la grâce n'est le fait que de Dieu seul, l'idée même de prier, ne comptant plus que sur le seul bon vouloir de Dieu.
S'ils ne rejettent pas totalement le projet de prier, autant le faire alors avec méthode, c'est à dire selon l'ordre de la nature humaine et de la grâce.
 
Dans son roman "Traité du zen et de l'entretien des motocyclettes" (Points Seuil, 1978), Robert Pirsig traque l'essence de ce qu'il appelle la "qualité", c'est à dire ce qui caractérise l'excellence d'un travail. Il trouve que cette excellence ne peut être définie en soi.
Mais on peut cependant, en regardant comment on travaille au quotidien avec méthode, voir du point de vue de l'homme ce que signifie cette excellence.
Si je veux m'appliquer au mieux à un travail, comme de bricoler par exemple, je vois que je dois y mettre toute ma personne.
Je dois en premier vouloir faire ce travail, car si j'y rechigne, je n'arriverai pas à y m'y appliquer, c'est à dire à y consacrer le reste de ma personne indispensable.
Je dois avoir ensuite l'intelligence de ce que je fais pour le faire correctement, voir clairement le but de ma réparation et les différentes opérations nécessaires.
Je dois également en avoir le goût, qui viendra peut-être avec l'intelligence . Le goût de ce travail peut également m'aider à conserver l'effort de le mener.
 
On voit que dans un travail mené au mieux, toute la personne est réquisitionnée, et c'est ce que nous appelons méthode.
Si une dimension de la personne est laissée de côté, le travail n'est pas exactement mené avec cœur.
Et justement, les pères hésychastes appellent cœur le lieu de convergence de toutes les composantes de la personne.
A cause de cela, ils appellent prière du cœur la prière correctement menée, à savoir la prière qui n'oublie aucun de ces organes de la personne, car ils savent que la faculté oubliée vagabondera seule à sa guise comme un garnement et gênera le travail des autres.
C'est pourquoi on parle de se recueillir lorsqu'on prie.
 
Voyez comment est organisée la liturgie. Elle se déroule dans une église où dans un lieu aménagé doté volontairement d'une esthétique qui me rappelle à l'injonction d'un ordre supérieur et orientera ma sensibilité pendant l'office. Seront prononcés des formules et un sermon qui orientera mon intelligence.
Le corps s'unit au goût et à l'intelligence par les chants, et différents gestes sollicitent son accord avec l'intellect, tout cela selon un rythme propre à favoriser l'attention grâce à des pauses, des ruptures, des silences.
La liturgie est conçue pour mettre à contribution tous les ingrédients de ma personne et les tourner vers Dieu, pour activer le souvenir de Dieu dans l'ordre de la nature de l'homme.
 
Observons maintenant la direction du mouvement de l'âme pendant la prière.
De la même façon, la prière doit n'oublier aucune composante de l'âme, comme l'intelligence, la volonté, la sensibilité, et demander le concours de chacune sans quoi cette faculté délaissée risque de s'exprimer de son côté et distraire l'âme.
Dans un second temps, la prière oriente ces différentes facultés réveillées dans une même direction qui est le souvenir de Dieu, alors qu'auparavant, chacune d'elles tirait de son côté à hue et à dia, selon l'ordre ordinaire de la dispersion.
Et dans un troisième temps, le priant retourne ce flux momentanément unifié de ses facultés vers l'intérieur, à savoir vers le cœur de la personne pour en nettoyer la coupe.
 
C'est qu'en effet le cœur désigne le siège des impulsions néfastes et des mauvaises pensées, que les pères appellent communément passions.
 
C'est à cause de cet ultime mouvement nécessaire de convergence de la prière, sans quoi celle-ci n'ira pas jusqu'à nous purifier, que le pseudo Denys l'Aéropagite (auteur chrétien du 6° siècle), qualifie le mouvement de l'intellect (qui est l'ensemble des composantes de notre personne) de circulaire, parce qu'il doit retourner à sa source.
 
Attention à ne pas faire de scolastique en voulant distinguer ces différentes facultés qui font une personne.
Elles ne sont pas tout à fait distinctes, la sensibilité agit sur la volonté et l'intelligence, l'imagination dépend de l'affect etc.
C'est à cause de cette interdépendance qui empêche de les distinguer qu'on ne trouvera pas d'unité dans la description par les pères de la mécanique psychologique.
Et de toute façon, le travail intérieur quotidien consistant à percevoir de façon personnelle et intime quelles armes il s'agit de déposer devant Dieu est individualisé, et ici aucune anthropologie ne peut nous être de quelque secours.
Pour l'instant, nous cherchons juste à voir comment agit précisément la prière.
     
   
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