L'imagination
 
Le processus de l'imagination est exprimé d'une manière propre à chaque tradition mystique, avec les mots de sa théologie qui, essayant de deviner les phénomènes, les ont masqués ce faisant de réalités qui n'en étaient pas. Ces théologies ont élaboré un langage commun pratique qui permet de saisir ces phénomènes, mais ce langage commun n'est qu'un très bel et très utile artifice.
Les psychologues augmenteraient leur science en essayant de traduire ce langage conformément aux phénomènes qu'il recouvre imparfaitement.
 
Ainsi, en nous coule un flot ininterrompu de pensées : une idée en appelle une autre qui en appelle une autre etc.
Ce mécanisme d'association est le fonctionnement de base de l'inconscient. Notre esprit est un fleuve continu.
 
Ce processus se joue depuis l'inconscient, il est toujours actif en toile de fond.
Notre conscience, en surface, est capable de rassembler les idées, de les organiser et d'en diriger apparemment le flux. Mais si notre conscience est capable d'attraper de nouvelles idées, pour s'adapter à la situation, c'est bien parce que le travail d'association continue de se jouer en arrière plan, dans l'inconscient.
Le processus d'association inconscient est la rivière dans laquelle la conscience pêche.
 
Nous ne nous appartenons pas : c'est notre imagination incontrôlée qui nous gouverne. Nous ne sommes pas les maîtres de cette partie immergée de notre esprit, de ce flux qui nous échappe parce qu'il se joue en amont.
 
C'est pourtant ce processus qui détermine notre personne, par le choix d'idées associatives qu'il met à notre disposition, et qui dépendra de l'éducation reçue.
Ainsi, le mathématicien sera celui qui aura plus tendance qu'un autre à avoir des associations dans le domaine des mathématiques, l'architecte dans le domaine de l'architecture etc.
Notre type d'associations propre est ce qui fait notre personne, avec nos habitudes, nos goûts, nos penchants...
 
Eduquer signifie habituer à un type d'associations mentales : recevoir une éducation en mathématiques, c'est devenir capable de produire naturellement des associations mathématiques propres à constituer le fond dans lequel nous puiserons pour résoudre des problèmes....
 
Ce que nous appelons intelligence désigne les modalités de ce processus.
Dans un premier degré, les associations se jouent librement dans l'inconscient, en remontant parfois à la conscience.
Dans un second degré, l'esprit utilise le processus d'association inconscient pour classer. Organiser un travail quelconque consiste d'abord à générer et à retenir des associations d'idées, propres à accomplir cette tâche.
Dans un troisième degré, l'esprit utilise ce principe d'association pour comprendre. Il devient capable de faire de nouvelles associations qu'il n'avait encore jamais essayées.
 
Le processus de l'imagination est donc bon en lui-même puisqu'il construit notre personne, et que sans l'imagination, il n'y aurait justement plus personne.
 
Pourtant, le mystique semble lutter contre une certaine forme d'imagination, puisqu'il appelle passions ses pensées qui ne sont pas orientées vers Dieu. C'est qu'effet nombre de nos associations sont dirigées vers un certain repli égocentrique.
Le travail du mystique semble être dans un premier temps de provoquer des associations d'idées propices à l'œuvre de Dieu, c'est à dire à l'ouverture du cœur, et s'opposant au processus naturel de fermeture à l'autre.
 
Le mystique ne cherchera donc pas la destruction de l'imagination. Celle-ci est la pierre angulaire de sa personne.
Cependant, "comment quelqu'un pourrait-il rentrer dans la maison de l'homme fort et s'emparer de ses biens s'il n'a d'abord ligoté l'homme fort ?" (Matthieu 12 : 29).
S'il rentre en son cœur, connaissant temporairement l'extinction de l'imagination (le "fana" des soufis) qu'il n'a pas recherchée pour elle-même, ce sera pour mettre le pied sur la tête du serpent.
 
Ne croyez pas trop vite avoir tout compris de ce grand mystère : vous le recouvririez probablement d'un système spéculatif personnel impropre.
 
La clef de ce mystère est dans le thème du cœur.
 
Le cœur désigne l'endroit d'où proviennent en même temps les pensées mauvaises, à savoir à caractère égocentrique ("les passions", c'est à dire le péché), mais aussi les pensées pures, c'est à dire orientées vers l'ouverture à l'autre (l'amour).
Les pères hésychastes enjoignent de pratiquer la garde du cœur, puis d'en nettoyer la coupe.
 
Le pseudo- Macaire d'Egypte nous enjoint ainsi dans une de ses homélies : "Par la surveillance de tes pensées, en ton intellect esclave et prisonnier du péché, entre dans ce qu'on appelle le trésor de ton âme, plus profondément que tes pensées, et vois le serpent qui rampe et se cache, et te tue à travers les articulations fondamentales de ton âme, car le cœur est un abîme, un chaos incompréhensible. Et si tu le détruis, tu seras glorifié en Dieu de ta pureté."
 
Mais ce dernier mouvement ne concerne pas du tout le débutant en prière, sauf à savoir où il va.
Il ne faut pas singer les fruits de l'Esprit, mais attendre qu'ils soient arrivés à maturité.
     
   
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