L'éveil est haut comme une montagne
 
Daisetz Suzuki rapporte le récit personnel d'un moine zen du XI° siècle ("Essais sur le bouddhisme zen, deuxième série, Albin Michel, Spiritualités vivantes, 1972, p 106). On y voit le travail intérieur acharné que celui-ci mène pendant des années.
 
Et on y voit très bien une des conditions de l'éveil : le désespoir actif.
 
Ce moine désire intensément l'éveil de toute sa personne et donne beaucoup dans ce sens jour après jour, mais il constate également jour après jour qu'il n'a pas atteint le but.
En lui se confrontent son vouloir Dieu face à sa propre incapacité.
 
Ceci est comparable à l'humilité chrétienne : d'une part, c'est intensément qu'on désire Dieu, mais d'autre part, on constate son propre éloignement de Dieu. L'intensité du désir est exacerbée par l'échec. Le monotropisme est devenu ici culminant.
 
Gilles Farcet décrit le moment précis de l'éveil chez son maître Arnaud Desjardins, un contemporain ("Arnaud Desjardins ou l'aventure de la sagesse", la table ronde, 1987, p 323).
On y voit le même désespoir à son paroxysme. Arnaud Desjardins réalise très clairement, mieux que jamais, qu'il n'y arrivera jamais. Alors, soudainement, il accepte totalement et se retrouve sur l'autre versant de la montagne du désespoir : il est libéré.
 
Outre le monotropisme, c'est aussi l'intériorité et la dépropriation qui culminent dans cette expérience.
Monotropisme car désespoir : il voit son incapacité totale à enfin préférer l'être.
Intériorité parce qu'il voit alors en lui à cet instant plus clairement que jamais.
Dépropriation parce que ce qui est alors en jeu est d'accepter de laisser le fardeau de l'avoir au profit enfin de l'être.
 
L'éveil ne se produit-il pas à un moment où monotropisme, dépropriation et intériorité vont culminer.
 
Je vous souhaite un pareil moment.
     
   
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